On attaquait à peine l’apéro qu’elle a dit ho la la c’est dur en ce moment, je suis en pré ménopause. Alors y’a pas de mal à se faire du bien qu’elle a rajouté en se prenant un 2ème canapé alors que nous autres, on n’avait pas encore commencé. Et elle a raconté les bouffées de chaleur, les suées nocturnes, les maux de tête, la mauvaise humeur, les gonflements. Son mari a opiné silencieusement et mon Simon a fait celui qui s’intéressait à un nouveau phénomène. Cause toujours que je me suis dis, je suis en avance sur toi sur ce coup là.

 

C’était fête, alors on avait des tenues de fête, un menu de fête, une déco de fête. Pour les conversations, on repassera.

Quand elle a dit que c’était dur de se sentir femme avec la ménopause et que quand même, les enfants, ça grandit vite, j’ai trouvé que c’était une bonne idée d’aller vérifier des trucs en cuisine. Alors, je suis allée passer un coup d’éponge sur la hotte. Quand on y pense, qu’est-ce que ça peut morfler une hotte ! Elle mériterait plus d’attention que ce qu’on lui accorde généralement.

2ème tour de remplissage de flûtes. Définitivement, on repassera pour les conversations.

Lui, il a encore perdu son boulot. Son dernier jour c’était même hier d’ailleurs. Depuis des années, il est abonné à l’alternance de CDD et de chômage, alors ça ne fait pas aussi mal qu’au début. Fataliste, il ne perd pas d’énergie à se révolter contre cette injustice. Il ne sait plus que c’est possible de faire des projets à plus long terme que quelques semaines. Mais quand même, c’est chaud avec les enfants.

Je me suis dis qu’il était urgent que je vérifie le stock d’éponges dans la cuisine. C’est vrai, on se fait toujours avoir avec les éponges. On jette la vieille qui d’un coup d’un seul ne trouve plus grâce à nos yeux alors qu’elle a rendu bien des services ingrats. Mais on a oublié de vérifier qu’il en restait des neuves, du stock que l’on a acheté il y a des mois en se disant « tiens, il y a une offre sur un lot d’éponges, ça vaut le coup, je vais en profiter ».

Alors que je relevais la tête de dessous l’évier, j’ai vu qu’elle m’avait suivie. Elle m’a dit que c’était dur en ce moment parce que plus les années passent, plus c’est dur de trouver des missions. A 45 ans, on est déjà vieux pour les patrons alors que les jeunes sortis d’études coûtent moins cher. Si elle perd son boulot, ils sont vraiment mal. Alors, elle accepte sans broncher toutes les brimades, les heures sup’ payées avec une petite tape sur l’épaule… Elle voit bien que les jeunettes qui débarquent sont plus compétentes qu’elle, qui n’a jamais eu un seul jour de formation continue en 20 ans. C’est dur. Ils ne regardent plus ensemble dans la même direction car il n’y a pas vraiment de direction. Ils s’engueulent de plus en plus fréquemment.

Je lui ai répondu que je ne pouvais pas savoir ce qu’ils vivaient mais que j’essayais de me représenter combien c’était difficile de ne pas pouvoir profiter de l’instant présent ni se projeter.

Je ne lui ai pas conseillé de se détendre et de lâcher prise.

Je ne l’ai pas assurée que les choses allaient forcément s’arranger.

Je ne lui ai pas balancé qu’ils n’avaient qu’à faire une formation, que ça ne devait pas être bien compliqué à trouver avec tout l’argent qui doit être donné à des organismes.

Je ne lui ai pas fait remarquer que ben ma cocotte faut se défendre aussi un peu, on vous voit pas beaucoup dans les manifs.

Je ne lui ai pas dit qu’ils avaient qu’à déménager vers une région où ya du boulot,.

Je n’ai pas mentionné le copain de la cousine de mon collègue qui a trouvé un CDI après 4 ans de chômage.

Je ne lui ai pas parlé de ce chômeur qui a gagné un jour à l’euromillion, alors tu vois, faut pas perdre espoir, si si ils ont en parlé dans les journaux.

Nous sommes passés à table. On a parlé du bon vieux temps.

Ça marche à tous les coups. Le bon vieux temps de l’insouciance.

27 commentaires sur « La stratégie du rétroviseur  »

  1. Comme toi, depuis la PMA (et le reste) j’essaie de faire attention à ce que je dis, à ne pas partir dans les phrases bateaux qui font plus de mal que de bien (même si des fois, j’imagine que ça m’échappe quand même). Des bisous

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  2. ce que nous apprend la pma, ou plutôt ce qu’elle nous rappelle car on est pas si bête 😜
    on gagne en empathie finalement, enfin tu étais peut-être déjà très « empathique » avant cela dit !
    Et puis objectivement, leur situation n’a pas l’air facile. On n’a pas le monopole du malheur même si on reste bien incomprises et qu’on en bave/a bavé. bises

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  3. Coucou Simone,
    J’aime toujours autant te lire 🙂
    J’essaye aussi de prendre plus de recul sur certaines situations quand les gens vont me parler de leurs soucis, par contre à contrario je crois que je suis moins patiente quand certain(e)s vont faire un drame d’un petit souci de rien du tout et surtout quand c’est publié sur facebook pour que tout le monde les plaigne/les réconforte…
    J’ai conscience qu’on a tous des soucis chacun à sa hauteur mais le côté je me plains à la terre entière pour que tout le monde dise des “ma pauvre/mon pauvre” alors qu’il n’y a vraiment rien de grave là je suis moins tolérante…
    La PMA m’a donné une empathie sélective…c’est grave docteur ?! 😀

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    1. Coucou Madame Cookie,
      la PMA nous ouvre et nous donne une autre vision sur la société, la vie, etc. Alors, oui, nous sommes parfois agacés devant le stress de nos proche vis à vis de problèmes que nous jugeons sans importance. Mais finalement, nous ne sommes pas à leur place non plus 😉 bises

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