– Tu sais Coin-coin, tu as de la chance d’être encore de ce monde, car d’habitude, le canard, je le préfère avec des navets.

-Mais enfin Momone, tu as promis de faire attention à ton alimentation rapport à ta fertilité. Ce ne serait pas sérieux de bouffer de la vieille carne comme moi.

-Je sais… mais faut bien se faire plaisir de temps en temps, et puis j’adore les navets…

Saurez-vous reconnaître lequel de ces 3 canards fait office de boule à thé ?

-Mais enfin Momone, toi et moi, nous sommes pareils, solidaires dans la galère.

-Qu’est-ce que t’en sais, toi le pauvre canard en plastique qui ne vibre même pas ?

-Dis donc, Momone, c’est pas parce que tu nous fais ta petite crise de ménopausée artificielle que tu peux te croire autorisée à me causer sur ce ton !!

-Excuse Coin-coin, je suis à cran en ce moment.

-Pas grave, j’oublie vite…. Tu sais, j’envisage sérieusement l’idée selon laquelle je suis le paradigme de l’infertilité. En effet, nonobstant l’image un peu ridicule que tu me prêtes, je suis convaincu être le symbole universel des coups du sort que DNLP peut faire subir aux infertiles.

-Hein ??

-C’est pas moi qui le dit, mais c’est Robert. Alors, pour une fois Momone, ferme-là et laisse moi te raconter.

-Ok Coin-coin, je suis toute ouïe !

 -Tu connais le sketch de Robert LAMOUREUX, La Chasse au canard ? Eh bien, je suis persuadé que le sujet central de ce sketch, c’est tout simplement l’infertilité ! Il ne faut pas s’arrêter au caractère un peu daté de cette histoire – qui me fait toujours autant rire – au risque de perdre de vue les grandes leçons données sur l’infertilité. La preuve :

Ho ! A la maison on a eu un truc terrible. On a reçu un canard vivant à la maison. On l’a reçu un dimanche matin ; ho ben Maman a dit : « on va pas le tuer aujourd’hui, on va le laisser trotter jusqu’à demain matin et pis demain matin on l’aura sous la main ». Alors, le lundi matin, le canard était toujours vivant.

Robert nous parle ici de l’annonce de l’infertilité et du coup de massue qu’elle entraîne : dans un premier temps, les couples concernés tombent dans le déni, mais la réalité s’amplifie inexorablement et devient de plus en plus sensible.

On peut pas le retrouver, on l’cherche partout, il était monté sur le buffet dis donc, tout là haut sur le buffet de la salle à manger alors Papa il a dit : « C’est pas dur, c’est ben simple je sais pas comment il a fait pour monter là haut mais je vois bien comment nous on va faire… y a qu’a mettre la table, sur la table on mettre une chaise, sur la chaise on mettra un banc et on mettra même un bottin sur le banc et moi je monterai sur le bottin »

Au début du parcours, que les couples concernés n’identifient pas d’emblée comme un long chemin semé d’embûches, on se dit que les solutions les plus simples fonctionneront et que tout rentrera bien vite dans l’ordre : 2 ou 3 cachetons et hop le gros bidon !

Moi je me suis dit : « C’est peut-être la bonne qui va monter », maman a pas voulu et c’est là que le drame a commencé parce que c’est Papa qui est monté, enfin je ne sais pas pourquoi je dis « il est monté », c’est une façon de parler parce qu’on a tous eu l’impression qu’il passait plutôt son temps à descendre ! des fois même il est tombé avant de monter sur la table, des fois, c’est quand la chaise a été sur la table, Papa est monté sur la chaise, c’est là qu’il a commencé son numéro de voltige, avec accessoire et double saut périlleux carpé, alors là ça été émouvant on sentait bien qu’il allait se passer quelque chose mais on pensait pas que ce serait aussi grave. Remarquez, de la façon dont-il s’y prenait, c’était forcé qu’on le ramasse à un moment ou l’autre, mais même un gars du métier aurait jamais pu penser que ça irait si vite.
Alors il a d’abord fait un rétablissement sur le dossier de la chaise avec menton dans un barreau. Extension de la jambe droite et recroquevillement du mollet autour du bras gauche, ça ça a été sensationnel, et tout de suite après, glissade sur les rotules avec tournoiement dans l’air et réception au tapis avec mâchoires sur le radiateur, c’était fantastique.

Robert évoque en toute transparence les premiers examens réservés aux infertiles dont certains pour lesquels on enverrait bien quelqu’un d’autre à notre place. Il met les mots sur les claques reçues après les premiers spermos et autre hystéromachin. Il annonce les montagnes russes de la PMA : les hauts où l’on croit progresser et les bas où l’on revient à la case départ.

Déjà, Robert sème le petit caillou du don de gamètes en évoquant « la bonne » qui pourrait tout aussi bien monter sur le bottin, cette fameuse liste d’attente qui paraît sans fin.

Ça c’était que le début ça, et quand le soir, vers 5 heures, on a mis la chaise sur la table, le banc sur la chaise et Papa sur le banc, il y a eu un moment de silence, et quand Papa a dit : « maintenant, vous allez me passer le bottin » , « de quelle année ? » qu’elle lui a demandé Maman, « alors passe moi celui de 50, parce que celui de 49 il manque 3 pages et je serais trop juste ! » ça vous prenait là ! ce monument que ça a été. Ce qui a foutu tout par terre c’est que chez nous, c’est pas haut de plafond et quand le vieux s’est relevé en disant : « ça y est » PAF, y a eu comme un bruit de DCA avec chute d’un avion lourd de B212 et alors là… si Papa s’était pas accroché au buffet, dans un sens, y aurait eu que demi-mal, vu que des suspensions, on en trouve encore et que des glaces de dessus de cheminée, on en trouve avec les bons de la semeuse, mais enfin, le fait était là et le pire, c’est que nous, on a rien vu du tout parce que quand il est tombé, on était tous rentrés dans le buffet, Maman était juste là où y avait les raviers et la soupière en métal et la bonne s’était fourrée la tête dans le tiroir, là où y a les quittances et moi j’étais dans le haut avec ma timbale en zinc de 1ère communion… un machin extraordinaire.

Robert raconte évidemment dans ce paragraphe le passage des stimulations simples aux inséminations. On accepte alors à regrets que son quotidien soit chamboulé quelques jours par des traitements un petit plus intrusifs que d’habitude tout en s’offusquant du temps et de la place que cela prend par rapport à notre petite vie bien réglée. La chute n’en est que plus douloureuse.

Toujours est-il que le mardi matin, le canard était toujours vivant, « alors là, il a dit, maintenant, y a plus de gants à prendre avec le canard » qu’il a dit Papa « je vais chercher la hache à fendre les bûches ».

L’échec, encore l’échec. On passe ensuite aux FIV, les fameuses FIV qui nous font basculer dans un autre monde, celui de l’hyper médicalisation qui peut nous apporter le bonheur tant attendu.

Alors là, on a senti dans l’immeuble qu’il y avait une odeur de sang et y en a eu du sang, y’en a eu quand il l’a laissé tomber sur le pied de Maman, y’en a eu quand il a filé l’manche dans l’œil à la bonne et y’a failli en avoir parce que moi j’ai vu passer la hache au moment où c’est qu’il a tapé sur le canard… le canard en plâtre, un faux qu’on avait sur une cheminée, à ce moment là, la hache s’est démanchée et j’ai vu le coin qui m’est passé à 3 cm de l’œil droit et il est rentré dans le baromètre. Vous dire cette atmosphère qu’y avait à la maison, c’est pas croyable, c’était cornélien.

Du sang, toujours du sang, annonciateur de mauvaises nouvelles et encore et toujours d’échec. Robert revient avec le thème du don de gamètes, celui que l’on veut écarter de sa vue, mais pour mieux le retrouver plus tard ?

Enfin, le jeudi matin, le canard était toujours vivant, remarquez moi je sais ce qui c’est passé à ce moment là, Papa a dit «écoutez, y a plus qu’une chose à faire, je vais chercher le fusil ! » « non » qu’elle y a dit Maman, qu’elle avait déjà vu les horreurs de la guerre « laisse moi embrasser mon fils » qu’elle a dit avant de se glisser sous la bibliothèque. Alors là Papa il a mis 2 cartouches dans le fusil, 21 dans sa bandoulière et 18 dans la poche de son pantalon.

Avec force délicatesse, Robert raconte les « horreurs » des fausses couches et autres grossesses extra-utérines. Alors, pour la suite, on change les traitements et on double les piqûres.

Comme atmosphère c’était sensationnel, aux 15 premiers coups de fusil, alors là aux 15 premiers coups de fusil ça a fait un scandale… du côté canard y’a rien eu, mais alors à chaque coup de fusil y a quelque chose qui tombait, on se serait cru dans une baraque foraine à la foire du Trône, c’était extraordinaire. Vous pensez que on voyait pas nous à cause de la fumée, mais on sentait qui s’passait quelque chose d’anormal à la fin quand Papa avait épuisé ses munitions. Il a ouvert la fenêtre, c’était pas la peine qu’il ouvre la fenêtre vu qu’il avait viré tous les carreaux dés le début.

Ici, il est bien sûr question des terribles effets secondaires des traitements qui « épuisent » et transforment le quotidien. « La foire du Trône » est évocatrice du (res)sentiment que l’on peut légitimement connaître à l’égard des équipes médicales et annonce le besoin d’obtenir un second avis.

Et le vendredi matin, le canard était toujours vivant.
Alors là, Papa a dit : « je vais faire appel à des chasseurs !»
14 qu’il en est venu, ils ont mis la hausse sur le fusil, ils ont coincé le canard sous l’évier et ils ont tiré tous les 14 ensemble, à 70 cm de l’évier 2 cartouches par fusil ça faisait 28 balles qui sont parties d’un seul coup et le seul qui a pas pris de plomb dans les pieds il en avait plein les fesses et y s’est demandé d’où ça venait vu qu’il était derrière tout le monde et qu’il avait, lui, tiré dans le plafond.

14 chasseurs, comme autant de DPO, ces jours autant aimés que redoutés… A travers la délicate métaphore du « plomb dans les fesses », Robert trace le récit en quelques mots pudiques de l’épreuve du décapeptyl déclencheur de la ménopause artificielle.

Et le samedi matin, le canard était toujours vivant, alors depuis y continue et on le nourrit avec des navets, que des navets, que des navets …

Oui Robert, le canard est toujours vivant.

Malgré les avanies, les échecs, les RALC,  les infertiles sont toujours debout.

Et, soucieux de leur alimentation, ils bouffent du navet.

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Le mieux c’est d’écouter Robert LAMOUREUX déclamer son sketch : https://youtu.be/lL3VPcJu5cE
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Un salut fraternel à tous les galériens de l’infertilité qui sont dans la tristesse en ce moment : caresse et bise à l’œil.

13 commentaires sur « Exclusif ! Coin-coin brise les tabous : « je suis le paradigme de l’infertilité » »

  1. Magnifique revisite (comme dirait Mercotte) de la Chasse au(x) canard(s) du toujours très actuel Robert Lamoureux. Merci Simone pour ces aventures toujours drôles, quoique graves et savoureuses, quoique pas toujours tendres.

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  2. J’aime beaucoup et je rejoins Margou, ton analyse me fait penser aux icsipari… Que je me permets d’embrasser virtuellement d’ici… 😙
    Et des bisous pour toi Simone, pleine de talent ! 😚😚

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