La scène se déroule un samedi soir dans un restaurant chic. Lumière tamisée, serveurs efficacement discrets, mets fins, vins haut de gamme. Le dîner touche à sa fin. La femme est vêtue d’une courte robe noire qui met en valeur  son corps de rêve tout en sobriété élitiste. Le diamant pendant vers sa poitrine magnifique rehausse de son éclat son maquillage parfait. L’homme installé en face d’elle porte un costume visiblement taillé sur mesure. Chemise italienne, chaussures de luxe, sa barbe de 3 jours savamment sculptée le rend tellement irrésistible qu’il pourrait tourner dans une pub pour du café. Le renflement de son pantalon fait écho aux joues en feu de la femme.

restaurant
Dîner pré-ovulatoire précédant une nuit super torride

« Mon ami, c’est pour ce soir, il me semble… » lui souffle t-elle entre ses lèvres rouge grenat.

-« Tu ne me surprends point ma bien-aimée, car vois-tu, je tiens le décompte. Alors, ne tardons pas, au-diable le dernier verre, rentrons derechef dans notre cher logis si confortable pour mettre en route le fruit de notre amour ».

« COUPEZ ! MAIS COUPEZ BORDEL ! C’EST N’IMPORTE QUOI !!! »

Un homme à la bedaine aussi imposante que sa casquette de base-ball vissée sur la tête s’approche du plateau. Il est en sueur et tout rouge à force d’éructer dans son porte-voix.

« Mais bordel, où est-il cet empoté ! Amenez-moi le scénariste illico ! »

Un homme au corps de pêcheur s’approche timidement, tête basse, comme pour parer les coups.

« C’est mauvais, c’est nul et ça sonne faux ! « 

Le scénariste se décompose.

« C’est quoi la suite ? On la voit le lendemain tout sourire avec un clearblue positif face caméra ?? Mais tu crois quoi ?? Que je te paie pour écrire des conneries ? Le public ne pourra jamais avaler des invraisemblances pareilles ! Remets-toi au boulot et écris-moi ce que tout le monde attend, pauvre empaffé ! « 

Le scénariste, bras ballants, s’en retourne à sa table d’écriture en traînant les pieds.

Techniciens et acteurs se détendent. Enfin la pause.

pause
Interlude

*****

La scène se passe un samedi matin, très tôt dans une chambre à coucher. L’horloge murale indique 5 heures. La radio se met en marche. Le couple se lève comme un seul homme.

Douche rapide pour lui. « Pense bien à prendre ta bétadine, ma puce » lui glisse-t-il alors qu’il passe son peignoir. Il attrape un vieux jean et un t-shirt dans lequel il se sent en confiance. Pour elle, ce sera la robe ample qu’elle a sortie la veille de son armoire.

Fondu enchaîné. Alors qu’il termine son petit-déjeuner en solo, elle glisse 2 pains de glace dans un sac isotherme. Instruite de l’expérience, elle sait que cela lui sera utile pour le retour.

Le dossier est prêt, posé sur la console de l’entrée depuis la veille. Traveling vers le garage. Il sort la voiture, elle referme le portail. Nuit sereine, la ville est déserte. L’autoroute est peu fréquentée à cette heure, ils peuvent se détendre, la circulation ne devrait pas leur poser de problème. Peu de dialogue, leur communication se réduit aux frôlements de mains et de cuisses qui disent l’attente, l’inquiétude et l’espérance. France-Inter en fond sonore, la femme tient un drôle de canard en plastique jaune dans sa main droite.

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Page de publicité destinée à financer cette FIV3 vu qu’aucune marque de fringues ne m’a (encore) proposé de partenariat.

Paris ville ouverte, la voiture se gare en majesté juste devant la clinique d’un chic arrondissement. Dossier sous le bras, ils grimpent l’escalier en se donnant la main. La dame de l’accueil n’est pas vraiment sympathique mais certainement très professionnelle. La paperasse est vite réglée. On les envoie à l’étage « ambulatoire ». Dès la sortie de l’ascenseur, ils sont accueillis par une femme souriante qui les mène à la chambre et les informe de ce qui les attend.

Porte refermée. Ils sont seuls dans une minuscule chambre défraîchie et meublée sommairement. Ils se prennent dans les bras. L’enjeu est si grand.

On frappe à la porte. Une infirmière vient prendre la tension de la femme. « Oh, mais vous êtes stressée Madame ! Y’a pas de quoi vous savez ! Un bébé de plus pour la clinique, c’est tout ce que cela donnera » éclate-t-elle de rire. En d’autres temps, la femme aurait vertement répliqué, mais curieusement ces mots l’apaisent, comme si c’était ce qu’elle avait besoin d’entendre juste à ce moment-là. L’infirmière dépose sur la tablette un cachet « pour vous détendre Madame ».

La Madame elle est tendue. Le Monsieur il se fait tout petit alors que c’est vraiment pas le moment.

Enfilage de la tenue, des chaussons et de la charlotte. Le cachet fait effet, elle sombre bientôt dans un demi-sommeil. L’homme reste silencieusement assis à ses côtés.

On frappe à nouveau. C’est un brancardier rigolard. L’homme les accompagne jusqu’à l’ascenseur, un dernier petit geste qui veut dire beaucoup et la porte se referme.

L’homme monte regarder des revues pendant que sa femme descend au bloc se faire charcuter.

Le bloc, projecteurs puissants.

L’anesthésiste vient se présenter. La gynécologue vient se présenter. Une infirmière l’aide à s’allonger le plus confortablement possible. L’anesthésiste pose la perfusion. La femme formule dans sa tête « 3, 2, 1, se détendre… ». Noir.

Elle entend des voix. Elle fait des efforts pour comprendre, essayer d’attraper un chiffre. Le même brancardier que tout à l’heure la ramène dans sa chambre. Elle n’a pas encore la force d’ouvrir les yeux. Ni de demander combien. Elle sent que l’homme est de retour. Elle articule difficilement : « comment ça s’est passé pour toi? ». L’homme est content de lui. Aucun scoop : l’homme il est toujours très content de ce qu’il donne. Quant  à elle, elle voudrait savoir combien. Pas la force de verbaliser la question.

content
Simon il est toujours content

On frappe. Une voix de femme lui demande si elle souffre. Elle fait oui de la tête. On lui met des antidouleurs dans sa perfusion et l’on glisse un pain de glace sur son ventre. Elle retourne dans les limbes et distingue à peine la voix de l’homme qui lui dit qu’il va à la pharmacie pour récupérer son traitement et qu’ensuite il ira manger un morceau.

On frappe. C’est la collation. Elle arrive à ouvrir les yeux. La gentille dame l’aide à se redresser un peu. Le thé a un effet revigorant. Elle se dit que 10, ce serait inespéré. Ou 8. Ou 6, comme la dernière fois. Mais 10, ce serait le pied, de quoi espérer un blasto. Peut-être.

UNE COMEDIE FAMILIALEChantal LAUBY,  décors avec personnages
Une bonne grosse collation post-ponction

On frappe. C’est la gynéco du bloc. Elle demande si c’est douloureux. « Oui ». Mais là n’est pas la question essentielle. « Docteur, dites-moi… combien? »

-C’est bien, c’est très bien, lui répond la gynéco, il y en a 20 ! ».

« COUPEZ ! MAIS COUPEZ BORDEL ! C’EST N’IMPORTE QUOI !!! »

L’homme à la casquette de base-ball fait irruption brutalement sur la scène, porte-voix en main. Il trépigne : « Et puis quoi encore ? Ce n’est pas du tout raccord avec un épisode précédent, quand le gynéco de Tataouïne lui dit qu’elle n’arrivera jamais à produire de gamètes de qualité et qu’ils doivent s’estimer heureux d’avoir 1 embryon moyen à J2. C’est faux, ça sonne faux, archi-faux. 20 ! Mais ça rime à quoi, 20 ! » Il se tient la tête entre les mains. « Et puis 20 quoi ? des follicules ? des ovocytes ? des louis d’or ? Absolument pas crédible ! ».

Alors Simone se redresse et tape du poing sur la tablette. Le canard jaune, accroché à son pouce tressaute. Elle se lance :

« RAS.LE.BOL. RAS.LE.BOL. Vous commencez à m’agacer sévère à vouloir tout noircir à chaque fois. 20 ovocytes, OUI 20 OVOCYTES ! Ah, ça vous en bouche un coin-coin, hein ? »

L’homme enlève sa casquette de base-ball et la tient devant lui comme un premier communiant en passe d’avaler sa première hostie. Il est honteusement silencieux.

« Je les ai sentis passer d’ailleurs, chevrote Simone. Depuis 2 jours, j’ai le ventre tellement gonflé que je pourrais être mannequin chez Taillissime ! J’ai deux marteaux piqueurs à la place des ovaires, des vertiges quand je me lève, le visage en papier mâché et je n’arrête pas de dormir. Oui 20 ovocytes. Et même que le laboratoire m’a appelée hier pour m’annoncer que 15 embryons étaient formés et qu’ils les mettaient TOUS en culture prolongée. Alors, oui, peut-être qu’au final, je n’aurai pas les blastos espérés, mais 15 ! 15 embryons purée !! Laissez moi encore rêver quelques jours avec le potentiel de ces 15 champions. C’est tellement incroyable….Laissez moi rêver…par pitié… ».

Simon s’approche avec un pain de glace tout juste sorti du congélateur : « Tiens ma puce, faut pas t’énerver dans ton état… allonge-toi, tu as besoin de repos. Laisse-moi faire maintenant, je vais éloigner les cons et me soumettre à tes ordres les plus vils toute la semaine qui vient » .

appellabo
Simone et Simon lors de l’appel du labo

143 commentaires sur « FIV3 – point ponction : Simone se fait un film »

  1. Wow! Mais à ce rythme là vous allez faire une équipe de foot…
    J’ai bien pensé à toi; je voulais t’envoyer un petit mail, mais le temps se déforme parfois et tout à coup on est lundi. Mes doigts restent croisés à fond pour que l’histoire continue sur cette belle lancée dans les jours qui viennent. Je pense que l’année 2017 va être une belle année.
    Gros bisous

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      1. Oui ça se passe bien – mon score s’annonce bien plus faible que le tien: 6 espoirs à l’écho de ce matin, mais comme dit Dr D, il en faut au moins 5 donc c’est tout bon. Je devrais passer sur le billard d’ici une petite semaine – après c’est un peu comme toi, si blasto il y a, ils seront a priori congelés, non pas pour cause d’endométriose mais d’adénomyose, ce qui au final est un peu similaire me semble-t-il.
        Bisous

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      1. J ai poussé un grand cri quand j ai lu pour tes blastos, et maintenant phase réparation de notre Simone…
        Je vais bien, on va bien! J ai arrêté le taf hier soir et je compte me reposer (j en ai besoin!!), d autant que des travaux chez moi m obligent à partir 15 jours chez mes parents. Tricot, bouquin, rêvasserie au programme, j aurais préféré être chez moi mais comme ça je suis sûre d en faire le moins possible en espérant que mes bébés restent dans mon ventre le plus tard possible…

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  2. Bonjour Simone,
    Ça fait des mois que je te suis dans l’ombre mais cette fois je tenais à en sortir pour te féliciter pour cette merveilleuse récolte !
    Je croise les doigts pour plusieurs beaux blastos (Avec le nombre au départ j’espère bien que tu en auras plusieurs !).
    Et j’en profite aussi pour te féliciter pour ton blog, c’est de loin celui que je préfère !

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