Chère Marisol,

Je me permets de vous appeler directement par votre prénom car j’ai l’impression de vous connaître un peu depuis le temps que je suis vos activités politiques. Depuis 1997 exactement. J’étais adolescente et vous veniez d’être élus députée. Le soir de votre victoire, vous avez dit « soyez sages les enfants, Maman doit donner des interviews ». Cette anecdote m’avait frappée à l’époque car représentait bien ce que je voulais faire de ma vie. C’était encore un peu confus alors, mais être une femme indépendante, mener sa carrière tout en ayant des enfants était un style de vie auquel j’aspirais. Depuis, grâce aux bourses étudiantes sur critères sociaux, j’ai pu suivre les études que je souhaitais et réussir les concours que je visais. 18 ans après, ma carrière est bien lancée, mais je n’ai toujours pas d’enfant. D’ailleurs, j’ai « fêté » mes 7 ans d’essais le mois dernier.

Je suis, nous sommes suivis en centre de PMA depuis 4 ans. Depuis 4 ans, mon compagnon et moi menons une double vie. En période de traitement, nous devons subir de multiples examens et des piqûres quotidiennes pour les femmes. Nos familles et nos proches ne sont pas au courant, encore moins nos employeurs. Si nous ne voulons pas faire de la peine aux premiers, je ne souhaite pas me faire mal voir de ces derniers. Oui, en 2015, une femme ne peut pas facilement assumer son désir d’enfant vis-à-vis de son employeur.

En plus des difficultés médicales et émotionnelles liées à l’infertilité, il faut ajouter la difficulté de suivre les traitements qui se passent pendant les horaires de travail.

Pardonnez-moi, je prends mon exemple car c’est celui que je connais le mieux. A Noël prochain, je ne prendrai pas de congés, nous allons retenter une FIV en début d’année. A priori, il faudra compter 1 à 2 piqûres quotidiennes durant 5 semaines environ, avec 3 à 6 contrôles échographiques, autant de prises de sang, un rendez-vous anesthésiste, une opération en ambulatoire pour la ponction et une intervention pour le transfert. Les piqûres quotidiennes peuvent se faire le soir après la journée de travail. J’aurai droit à un arrêt de travail de 5 jours pour la ponction, ce qui n’est pas du luxe. La dernière fois, j’ai mis une bonne semaine avant de pouvoir remarcher sans douleur. Pour les autres rendez-vous, je poserai des jours de congés. Mon compagnon en posera aussi pour les rendez-vous le concernant. Le souci c’est que nous devons poser ces congés au dernier moment ce qui, évidemment, pose problème vis à vis de nos employeurs. En effet, les médecins ajustent les traitements et examens au fur et à mesure des résultats. Je ne vous parle même pas de la difficulté au quotidien de supporter les effets secondaires des traitements.

Dans le cadre du projet de rénovation de la loi santé, les sénateurs ont proposé et voté un amendement 301bis, autorisant les femmes en parcours de soins PMA à s’absenter (sur le même modèle que les autorisations d’absences pour grossesse). Il est important de ne pas oublier les hommes qui ont eux aussi des examens propres. D’ailleurs, la loi de bioéthique les oblige à être présents à différentes étapes du parcours, et c’est bien normal.

La solution serait d’insérer dans l’article L-1225-16 du code du travail la phrase suivante «La salariée et son conjoint bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation conformément à l’article L2141-2 du code de la santé publique bénéficient d’autorisations d’absences pour les actes médicaux nécessaires ».

Il paraît que vous n’êtes pas favorable à cette disposition car vous ne souhaitez pas modifier le code du travail.

L’autre soir, j’écoutais un débat politique où un commentateur disait d’un ton péremptoire que le gouvernement n’avait plus le temps de lancer de grandes réformes d’ici les prochaines élections. Alors, moi je réponds d’un ton que je voudrais mèremptoire – oui, je fais des jeux de mots , c’est pour mieux vivre mon infertilité – bref, je voudrais vous assurez que vous avez bien sûr le temps de faire des grandes et des petites réformes. Ce sont souvent les « petites choses » qui en réalité changent positivement la vie des gens et apportent un progrès durable. Comme par exemple l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou les congés paternité.

L’infertilité concerne malheureusement beaucoup de gens, un couple sur six dit-on. Peut-être disposez-vous de chiffres précis au ministère sur le nombre et la répartition socioprofessionnelle de tout ce monde là. Et sur les causes : j’imagine que la pollution doit y être pour quelque chose. En tout cas, j’ai bien l’impression que ce n’est pas tout le monde que je croise dans les salles d’attente de la PMA : pas d’ouvriers aux 3/8, ni de caissières aux horaires élastiques par exemple.

Je peux prendre le risque de me faire mal voir de mon employeur en posant des congés fréquemment au dernier moment car j’ai la chance de pouvoir espérer retrouver du travail relativement facilement ailleurs. J’ai aussi les moyens d’épargner pour financer des traitements à l’étranger quand nous aurons épuisé notre quota en France. Car voyez-vous, les taux de réussite ne sont pas très bons en France et beaucoup de couples infertiles vont de temps en temps passer une semaine de « vacances » en République Tchèque, en Belgique ou encore en Espagne.

Je vous suis très reconnaissante d’avoir élargi le cercle des donneurs potentiels de gamètes. Faciliter la conciliation entre les traitements PMA et la vie professionnelle aux 15% de couples infertiles constituerait un progrès substantiel et serait une de ces « petites » réformes qui marquerait durablement la vie des gens. Cette disposition aurait également le mérite de mieux faire connaître les traitements liés à la PMA, de lutter contre les idées reçues et de faire progresser l’égalité femmes-hommes dans l’accès et l’exercice de la parentalité.

Cela serait une belle et grande réforme.

Salut et Fraternité,

                                            Simone

30 commentaires sur « Très chère Marisol »

  1. Je suis toute ebaubi par cette formidable tribune.
    Si avec ça nous n’arrivons pas à obtenir cette avancée sociale…..
    Merci Simone, tu ecris vraiment bien
    Je fais circuler évidemment !

    Je ne sais pas pourquoi je ne peux pas mettre les accents

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  2. Elle est magnifique ta lettre Simone. J’espère que ta députée y sera sensible et changera d’opinion. PAr leur silence et leur conservatisme, ces élus me semblent si loin des préoccupations des citoyens… Ça ne me réconcilie pas avec la politique.
    Comment tu as su qu’elle n’était pas favorable au projet de loi ?
    Si je n’obtiens pas de réponse de mon côté, je relancerai en fin de semaine…
    Des baisers. J’espère que l’attente ne te met pas trop les nerfs en pelote.

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    1. Marisol Marisol… J’y étais pas. Toi t’écris carrément à la Ministre ! En même temps, avec le portefeuille du droit des femmes, c’est un peu l’interlocutrice suprême sur ce sujet là. Tu nous diras si quelqu’un te répond.

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  3. Bravo pour cette lettre et très beau style ! Il faudrait vraiment en « faire quelque chose » … Transmettre à BAMP ? Elle est personnelle cette lettre, alors on ne peut pas la reprendre. Pourtant, ce serait tellement bien d’en envoyer massivement à la ministre. Mais comment être sûr qu’elle les lira ?
    Encore bravo en tout cas ! 🙂

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    1. merci du compliment! BAMP a repris la lettre (je l’ai envoyée par mail et par tweet) et la retweeté aux députés membres de la commission des affaires sociales. Elle a également été pas mal retweetée aujourd’hui. N’hésite pas à la reprendre de ton côté 🙂

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      1. Ah génial ! Je suis contente de savoir qu’elle circule ! 🙂
        Je n’ai pas tweeter (je suis handicapée des réseaux sociaux) mais je crois que je vais finir par m’y mettre…
        Merci en tout cas, je vais la faire circuler auprès des personnes qui sont au courant de mon parcours et plus si j’y arrive ! 🙂

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